MÉDECINE FACTUELLE - RECHERCHE SCIENTIFIQUE
Cahier scientifique
Médecine factuelle
Auteur(s) : Jean-Michel VANDEWEERD
Fonctions : (DipECVS)Namur Research Institute
for Life Sciences (Narilis)
Université de Namur
61 rue de Bruxelles
5000 Namur (Belgique)
Une lecture rapide permet d’extraire des informations clés grâce à des techniques identifiant les résultats pertinents. Un article récent sur la prévalence des complications postopératoires chez le cheval illustre cette démarche.
Dans un article récent, nous rappelions que pour répondre aux questions des praticiens équins, des auteurs ou groupes d’experts proposent des articles de synthèse ou de recommandations (guidelines) [4]. Ces publications sont très utiles pour faire le point sur les connaissances acquises au cours des dernières années. Certaines sont présentées selon les modalités d’une synthèse méthodique. Ce type d’article est idéal pour faire le point sur la qualité des preuves scientifiques disponibles, mais la lecture peut rester décevante car peu de réponses sont finalement apportées, avec certitude, aux questions des praticiens. En effet, de nombreux biais méthodologiques sont difficiles à éviter en recherche vétérinaire et affaiblissent le niveau des preuves. Ces documents sont parfois fort longs et souvent fastidieux à lire. Il est peu probable que le praticien ait le temps de les lire dans leur entièreté, et il pourrait se heurter à des termes qui ralentissent la compréhension du document. Cet article vise à illustrer une démarche de lecture rapide et certains des écueils de terminologie au départ d’un article publié récemment par Loomes et ses collaborateurs, intitulé « A systematic review of the prevalence of post-operative complications after general anaesthesia in adult horses (2000-2023) » [2].
Les auteurs rappellent que la mortalité et la morbidité périopératoires intéressent les anesthésistes, les praticiens, les propriétaires de chevaux et les compagnies d’assurances. L’incidence de la mortalité périopératoire a été fréquemment documentée, ainsi que ses facteurs de risque, dans les données publiées, mais la morbidité serait, d’après eux, « largement survolée ». Or la morbidité postopératoire influence la durée et le coût de l’hospitalisation, impacte les performances futures du cheval et, dans les scénarios les plus sombres, peut mener à l’euthanasie. Seule une synthèse narrative est publiée [1]. Leur objectif était dès lors de réaliser une synthèse méthodique pour analyser la prévalence des complications postopératoires chez des chevaux adultes subissant une intervention chirurgicale élective non abdominale et chez ceux opérés pour des coliques. Les auteurs indiquent avoir utilisé la grille d’évaluation critique des études de prévalence (JBI critical appraisal checklist for studies reporting prevalence data) [3].
Ils ont aussi tenté de répondre à une série de « questions formulées selon le système PICO ».
Si, en tant que praticien, il est possible de comprendre facilement l’expression de l’objectif dans l’introduction, certains termes employés ne sont pas intuitifs. Quelques-uns sont régulièrement utilisés en épidémiologie clinique pour exprimer la fréquence d’un événement. Ainsi, le taux de mortalité est le rapport entre le nombre d’animaux morts et le chiffre de la population dans un lieu et un espace de temps déterminés. Le taux de morbidité correspond au nombre de chevaux malades ou au nombre de cas de maladie dans une population déterminée à un moment donné. Le taux de létalité (souvent dit létalité) est la proportion de morts liés à une maladie ou à une affection particulière par rapport au nombre total de cas atteints par la maladie ou concernés par l’affection particulière. La probabilité correspond à la vraisemblance d’un événement. Elle est comprise entre 0 (événement impossible) et 1 (événement certain). Il est possible d’estimer la probabilité d’un événement à partir de sa fréquence, au sens du rapport entre le nombre de fois où cet événement est observé et le nombre total d’observations disponibles. En épidémiologie, le terme de prévalence est également utilisé. Il s’agit d’un taux qui s’exprime en pourcentage (de 0 à 100 %), dit taux de prévalence. Cependant, cette mesure ne répond pas à la question d’apparition du taux de nouveaux cas. Cette question est utile lorsque l’objectif est de connaître la dynamique d’une maladie. Le nombre de nouveaux cas survenant pendant une période donnée sur le nombre d’animaux présents (indemnes au départ de la période d’observation) correspond au taux d’incidence. La synthèse narrative (narrative review) est un article de synthèse dans lequel l’auteur, après une revue de la littérature, développe un sujet. Le texte est généralement structuré en paragraphes qui, après une introduction, pourraient concerner les causes, les signes cliniques, le diagnostic, le traitement et le pronostic d’une maladie. Dans une synthèse méthodique (systematic review), la section “matériel et méthodes” décrit la méthode pour identifier les articles (idéalement tous) sur le sujet selon des mots clés et des critères de sélection, ainsi que celle pour évaluer la qualité méthodologique des études (validité interne et externe). En l’occurrence, Loomes et son équipe font référence à la grille de lecture élaborée par le Joanna Briggs Institute (JBI) [2]. Un autre dispositif couramment utilisé est le Critical appraisal skills program (CASP). Un article de synthèse méthodique comprend ensuite une section “résultats” et une section “discussion”, la première pouvant être très longue.
De nos jours, la majorité des articles de synthèse méthodique font référence à des questions PICO de départ. La démarche de la médecine factuelle (evidence-based medicine, EBM) comporte différentes étapes. La première consiste à formuler la question de départ de façon structurée. Cette technique permettrait de mieux identifier les mots clés à utiliser dans les moteurs de recherche des bases de données bibliographiques.
Le P correspond à la population étudiée, le I à l’intervention, le C au comparatif et le O aux résultats obtenus (outcome en anglais). L’acronyme PECO existe aussi, le E correspondant au facteur d’exposition ou facteur à l’étude. Ainsi, il serait possible de poser la question suivante : « Chez le cheval opéré de coliques (= P), l’administration d’antibiotiques pendant 3 jours (= I) , par rapport à 5 jours (= C), augmente-t-elle le risque de complications infectieuses (= O) ? » Ou encore : « Chez le cheval, le maintien au box (E) , par rapport au maintien au pré (C) , favorise-t-il le développement de coliques (O) ? » Pour les questions de diagnostic ou de prévalence, ces acronymes ne conviennent pas. C’est par extension que la notion de PICO est utilisée dans l’article de Loomes et ses collaborateurs [2]. Ils formulent deux questions de base (« quelle est la prévalence globale des complications après une chirurgie élective non abdominale ? » et « quelle est la prévalence globale des complications après une chirurgie de colique ? ») et 11 autres sur le format « quelle est la prévalence de la complication X après une chirurgie de colique en comparaison d’une chirurgie élective ? ». Les complications postopératoires considérées sont les coliques, l’infection du site chirurgical, les boiteries, les myopathies et les neuropathies, la fourbure, la diarrhée et la colite, l’hyperthermie et la fièvre, la thrombophlébite jugulaire, les affections respiratoires, l’abrasion de la cornée, ainsi que la péritonite et l’iléus. Les questions PICO permettent ainsi de rendre plus concrète la lecture des résultats et leur discussion. En effet, l’article de 36 pages choisi en exemple comporte 25 pages de résultats incluant 13 tableaux, qui rapportent plusieurs dizaines de valeurs de prévalence, de quoi décourager le lecteur. Avant d’aller plus loin dans la lecture d’une synthèse aussi longue, il est conseillé de déterminer ce qu’il convient de retenir de l’article en établissant ses limites.
Le résumé présenté en début d’article établit la liste des faiblesses méthodologiques des études identifiées. Les auteurs les précisent dans le texte. La plupart des études sont rétrospectives. De ce fait, certaines données peuvent avoir été enregistrées de façon moins précise ou être simplement manquantes. Les protocoles de diagnostic et de traitement ne sont pas standardisés. Plus la période observée est longue, plus le risque est grand de changement de personnel soignant ou d’infrastructure. Les techniques s’améliorent également au cours du temps. Par ailleurs, les périodes de suivi des animaux après les interventions chirurgicales sont très différentes, certaines étant plus courtes, ce qui augmente le risque de non-détection de quelques complications. Une limite majeure est l’absence de définitions communes des morbidités. Par exemple, les complications de plaies sont définies avec des degrés de précision différents. Certains auteurs incluent les caractéristiques externes et les cultures bactériennes. D’autres les définissent comme un écoulement présent après l’intervention pendant 12 heures et plus, et d’autres tout simplement comme tout écoulement.
Ces faiblesses méthodologiques ne sont pas inattendues, au contraire. Elles permettent toutefois de relativiser l’intérêt à lire scrupuleusement, de façon détaillée, les nombreuses valeurs individuelles du taux de prévalence repris dans les 13 tableaux. Ces chiffres sont probablement empreints de biais. Les auteurs relativiseront donc leurs réponses aux 13 questions PICO, n’apportant pas de réponse définitive. Il convient à ce stade de lire le résumé de leur étude en consultant la section “résumé” ou la section “conclusion”.
Un résumé de qualité est censé rassembler les résultats majeurs de la synthèse. La consultation rapide des nombreux tableaux confirme que les prévalences sont extrêmement variables. Les périodes d’observation des études rétrospectives sont très différentes, soit dans leur longueur, soit dans les époques. En effet, la synthèse méthodique porte sur des articles publiés entre 2000 et 2023. Toutefois, une différence nette apparaît entre la prévalence des complications après l’intervention pour des coliques et celles après une chirurgie élective non abdominale. Le lecteur est donc enclin à suivre les auteurs lorsqu’ils indiquent que « la proportion de complications lors de chirurgie élective est 17,48 % et passe de façon statistiquement significative à 55,62 % lors de coliques traitées chirurgicalement (odds ratio 6,63) ». Ils proposent une figure assez explicite. Le praticien pourrait s’interroger sur la signification de l’odds ratio. Il s’agit d’une expression du risque. Celui-ci peut être étudié de deux façons : soit de l’exposition à la maladie (suivi de cohorte rétrospectif), soit de la maladie à l’exposition (étude cas-témoin).
Prenons l’exemple d’une complication X dans la population de chevaux opérés. Supposons qu’elle varie entre les deux techniques de chirurgie (A versus B) et que l’objectif soit de tester cette hypothèse dans une étude rétrospective. Deux populations sont constituées, l’une de chevaux opérés avec la technique A et l’autre de chevaux ayant subi la technique B, dans les dossiers (passés) de la clinique. Les animaux qui présentent la complication X dans les deux groupes sont dénombrés. Supposons que la probabilité de complication X est de 30 % chez les chevaux opérés par la méthode A et de 10 % chez les autres. Le risque relatif de ceux opérés avec la technique A par rapport à ceux subissant une chirurgie B est le rapport de la probabilité pour les chevaux opérés par la technique A de présenter la complication X sur la probabilité pour ceux subissant la chirurgie par la méthode B. Dans cet exemple, le risque relatif est de 3 (30 %//10 %). Les chevaux opérés par la méthode A ont donc trois fois plus de risque de développer cette complication que les autres. Un rapport inférieur à 1 indique un risque moindre (effet préventif), supérieur à 1 un risque accru. Une valeur de 1 indique l’absence d’effet dans un sens ou dans l’autre. Le risque relatif se calcule au départ d’un tableau de contingence, mettant en rapport le facteur d’exposition (facteur à l’étude) et la maladie, dans une population donnée (tableau 1). D’autres exemples chiffrés peuvent illustrer ces formules (tableau 2).
Il existe une autre façon d’évaluer la notion de « chance qu’un événement se produise », autrement dit d’évaluer une inégalité. Dans une étude cas-témoin par exemple, les cas ne sont pas comptés par rapport à un facteur d’exposition, c’est le nombre d’exposés parmi les cas et les témoins qui est décompté. Les cas et les témoins sont choisis dans le présent et leur exposition éventuelle est détectée dans le passé. Puis est établi le rapport entre la cote chez les cas, c’est-à-dire les chevaux ayant développé la complication X (la cote étant le rapport entre la probabilité d’être exposé au facteur 1, ici la chirurgie A, et celle d’être exposé au facteur 2, la chirurgie B) et la cote chez les témoins, c’est-à-dire les chevaux n’ayant pas développé la complication X (la cote étant le rapport entre la probabilité d’être exposé au facteur 1, la chirurgie A, et celle d’être exposé au facteur 2, la chirurgie B). Il ne s’agit pas d’un risque relatif, même si les notions se ressemblent. Le calcul est différent : odds ratio = (a/a + c//c/a+c)/(b/b+d//d/b+d) = ad/bc. Le rapport de ces cotes est donc de 3,9. Il est sensiblement différent du risque relatif et ne s’interprète pas aussi aisément. En effet, il n’est pas possible d’affirmer dans ce cas de figure que près de quatre fois plus de chevaux opérés par la méthode A développent la complication X que ceux subissant une chirurgie par la méthode B. Il s’agit plutôt de dire que la cote (chance) chez les cas (chevaux développant une complication) d’avoir été opérés par la technique A (plutôt que par la méthode B) est quatre fois plus élevée que la cote (chance) chez les témoins (chevaux sans complication) d’avoir été opérés par la technique A (plutôt que par la méthode B). La formulation des rapports de cotes est parfois alambiquée. Il convient de retenir que le rapport des cotes est une mesure de l’association entre le facteur d’exposition et le résultat. Dans l’exemple de Loomes, ces éléments correspondent au type de chirurgie et à la complication et le rapport des cotes est de 6,63 (photo). Les cotes varient de 0 à l’infini. Les rapports de cotes supérieurs à 1 n’ont pas de limite supérieure, quelles que soient les cotes de résultat pour les individus non exposés. En général, un rapport de cotes de 1,1 à 1,5 est faible, de 1,5 à 3 est moyen, supérieur à 3 est fort. Le débat entre risque relatif et rapport des cotes (odds ratios) sort du cadre de cet article. Plus la prévalence de l’événement observé est faible dans la population, plus les odds ratios sont semblables aux risques relatifs.
Sur la base d’une lecture rapide, le praticien peut formuler la conclusion suivante, utile dans la gestion de sa pratique chirurgicale ou dans le cadre de la communication du risque à la clientèle : « Sur la base des connaissances publiées au cours des 20 dernières années analysées dans un article récent, en gardant à l’esprit les biais liés au caractère rétrospectif des études, il est possible d’affirmer raisonnablement que la proportion de complications lors d’interventions chirurgicales électives est d’environ 17 % et passe à 55 % pour les coliques traitées chirurgicalement. » Le vétérinaire peut aussi conclure que la mesure de l’association entre les complications et le type de chirurgie est élevée, puisque le rapport des cotes est de 6,63.
Aucun
• Bien qu’utiles pour faire le point sur les connaissances acquises au cours du temps sur un sujet précis, les synthèses méthodiques peuvent être longues et fastidieuses à lire.
• La connaissance des notions d’épidémiologie clinique permet une lecture rapide des synthèses méthodiques.
• Il est conseillé d’identifier dès le départ les limites de la synthèse rapportées par les auteurs pour se concentrer ensuite sur les éléments essentiels de l’article.