Responsabilité du vétérinaire lors des actes de soin - Pratique Vétérinaire Equine n° 224 du 01/01/2025
Pratique Vétérinaire Equine n° 224 du 01/01/2025

Cahier pratique

Fiche juridique

Auteur(s) : Geoffroy AUTENNE

Fonctions : Vétérinaire expert près la cour d’appel de Rouen
Compagnie nationale des experts équins
5 route de la Sécheresse
76560 Héricourt-en-Caux

Lors d’une intervention, le praticien est considéré comme ayant la garde de l’animal, ce qui engage sa responsabilité en cas d’accident. La garde est alternative : elle appartient soit au propriétaire avant l’intervention, soit au vétérinaire dès qu’il commence à traiter l’animal.

Comment définir les responsabilités lorsqu’un cheval (ou tout autre animal) cause un dommage alors qu’il est en cours de soins prodigués par un vétérinaire ? Afin de répondre à cette question, il convient de préciser les deux principaux régimes de responsabilité qui s’imposent en la matière : la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle.

LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE

Lorsqu’un animal est confié à un vétérinaire pour être soigné, un contrat de soins (écrit ou non) s’établit alors entre le propriétaire et le vétérinaire. La preuve de l’existence de ce contrat peut être faite par tout moyen. Par essence, un contrat produit des obligations pour les cocontractants. Le champ d’application de ce régime de responsabilité concerne de manière exclusive les dommages causés à l’animal en soins, mais en aucun cas les dommages causés par ce dernier.

LA RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE

Application

Dans le cas de dommages causés par l’animal, ceux-ci relèvent de la responsabilité délictuelle impliquant la notion de garde, car le fait de l’animal n’est pas couvert par le contrat de soins. D’un point de vue délictuel, le Code civil prévoit que « tout fait de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » [1]. De manière plus précise, l’article 1243 prévoit que « le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé » [2]. La responsabilité civile du fait des animaux a pour fondement l’obligation de garde et non la propriété (photo) [6]. La garde se caractérise par un pouvoir d’usage, de contrôle et de direction sur l’animal. C’est notamment le cas du cavalier suffisamment expérimenté auquel est confié un cheval par son propriétaire [7]. En principe, 3 conditions cumulatives seront exigées pour que la victime d’un préjudice obtienne une réparation sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle : un fait dommageable, qu’il soit volontaire ou involontaire (par exemple, une ruade) ; un dommage certain ; un lien de causalité entre la faute et le dommage invoqué. Si la présence d’un animal est une condition indispensable à la mise en œuvre de l’article 1243 du Code civil, encore faut-il que le préjudice de la victime soit causé par le fait actif de l’animal (lien de causalité). Le fait actif ne signifie pas qu’il doit y avoir obligatoirement un contact entre l’animal et la victime, mais simplement qu’il joue un rôle dans le dommage, un rôle causal. Afin de préciser les responsabilités, la notion de garde revêt une importance particulière. Les tribunaux considèrent que dès lors que l’animal est confié au vétérinaire, un transfert de garde s’opère. En donnant des soins à l’animal, le vétérinaire endosse donc le rôle de gardien de l’animal. La qualité de gardien suffit à engager sa responsabilité, quand bien même le propriétaire ou toute autre personne participe à ces soins, en tenant par exemple l’animal afin d’aider le vétérinaire, à la demande ou non de ce dernier. Le professionnel reste le vétérinaire qui donne ses instructions et dirige les opérations afin de réaliser les soins à l’animal. En sa qualité de professionnel, il ne peut ignorer le caractère imprévisible d’un animal, et doit ainsi prendre toutes les mesures pour s’assurer de réaliser ses soins en sécurité pour les autres, lui-même et l’environnement dans lequel il se trouve (encadré 1).

Exceptions

Dans de rares cas, il peut arriver que la responsabilité du vétérinaire ne soit pas retenue : il s’agit alors de situations où il pourrait éventuellement prouver qu’un fait extérieur a été la cause du dommage. Pour cela, il peut invoquer le cas de force majeure (fait imprévisible et irrésistible) et le fait d’un tiers (ou faute de la victime). Néanmoins, la force majeure a des limites concernant les professionnels. Par exemple, un cheval effrayé par la ruade d’un autre équidé, désarçonnant son cavalier, n’est pas imprévisible pour un professionnel de l’équitation [3]. Les tribunaux étant de nature clémente avec les victimes, même lorsqu’il y a participation active de celles-ci dans la survenance de l’accident, il convient à cet égard de rester extrêmement vigilant (encadré 2). Ainsi, le fait de reprocher au propriétaire une mauvaise contention ne suffira pas à dégager la responsabilité du vétérinaire.

Références

  • 1. Code civil. Chapitre Ier : La responsabilité extracontractuelle en général. Article 1240.
  • 2. Code civil. Chapitre Ier : La responsabilité extracontractuelle en général. Article 1243.
  • 3. Cour d’appel d’Amiens, 12 juin 2008.
  • 4. Cour d’appel de Grenoble, 15 mars 2004.
  • 5. Cour d’appel de Rouen, 28 juin 2005.
  • 6. Civ. 2 mai 1946, D. 1946. 305. Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 8 mars 2012, 11-13.455, Inédit.
  • 7. Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 3 juin 2010, 09-13.526, Inédit

Conflit d’intérêts

Aucun

ENCADRÉ 1 : VÉTÉRINAIRE RESPONSABLE : EXEMPLE DE JURISPRUDENCE

La cour d’appel de Rouen, en son arrêt du 28 juin 2005, a conclu à la responsabilité du vétérinaire dans les circonstances suivantes :

« Un centre équestre fait appel à un vétérinaire alors qu’un des chevaux de l’école fait preuve de nervosité. Le vétérinaire intervient dans l’enceinte de l’école équestre assisté d’une monitrice d’équitation en formation. Alors que le vétérinaire s’apprêtait à lui administrer une piqûre, le cheval se cabre et retombe sur la monitrice, la blessant. Le tribunal retiendra que l’article 1243 (ex-1385) s’applique. En effet, la garde de l’animal était transférée au vétérinaire dès lors où il s’apprêtait à faire un acte de soin (piqûre), et qu’ainsi au titre de cette intervention, il était devenu le gardien du cheval. Il avait la garde de l’animal, l’usage de celui-ci ainsi que la direction de l’intervention » [5].

Cette responsabilité du fait de l’animal est une responsabilité de plein droit (sans faute). Ainsi, la victime n’a pas à rapporter la preuve d’une faute, du vétérinaire en l’occurrence, qui est, de fait, présumé responsable.

ENCADRÉ 2 : FAUTE DE LA VICTIME : EXEMPLE DE JURISPRUDENCE

Cet exemple, qui peut être transposé à une situation équivalente impliquant un vétérinaire, illustre le concept de faute de la victime [4].

Madame R. est propriétaire d’un cheval tenu en longe par sa fille Audrey. La jeune Aurélie L., âgée de 9 ans, caresse le cheval qui lui envoie une ruade, lui détruisant un rein et la rate. Le tribunal avait relevé la faute inexcusable de la victime et l’avait déboutée. Sur appel de Madame L., la cour constate qu’il existe deux versions de l’accident : Madame R. indique que le cheval a été surpris par une caresse de l’enfant, alors que Madame L. affirme que le cheval a fait un écart, puis a donné une ruade. La cour souligne que « les circonstances de l’accident ne pouvant être établies avec certitude, le gardien de l’animal ne peut être exonéré et qu’en tout état de cause, seul un événement constituant un cas de force majeure est de nature à exonérer le propriétaire d’un animal ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage ; que dès lors, le comportement de la victime, s’il n’a pas été pour le gardien imprévisible et irrésistible, ne peut l’en exonérer, même partiellement ; que le fait pour une enfant de 9 ans de vouloir caresser un cheval n’a pas ce caractère, qu’en outre il n’est pas rapporté non plus qu’Audrey ou sa maman ont attiré l’attention de l’enfant sur le danger qu’il y avait à caresser le cheval, à tout le moins à se trouver derrière lui et que dans ces conditions, en application de l’article 1385 du Code civil, il convient de retenir la responsabilité de Madame R. ».