Dans un objectif de réduction de l'utilisation des animaux à des fins expérimentales, le comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale (CNREEA) a dressé un état des lieux de l'utilisation des anticorps d’origine animale en France actuellement et les experts ont émis leurs recommandations sur la démarche à suivre dans un avis publié le 7 novembre 2022.
"Il faudrait arrêter d’utiliser des animaux pour la fabrication ou la production d’anticorps, quelle qu’en soit la raison liée à la recherche, à des besoins réglementaires, en diagnostic ou pour des applications thérapeutiques" conclu l'avis du comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale (CNREEA) du 7 novembre 2022. Par ce dernier, le CNREEA a souhaité dresser un bilan du développement, de la production et de l’utilisation des anticorps en recherche en France. A cet égard, un questionnaire portant sur les anticorps d’origine animale et non animale a été diffusé très largement auprès des professionnels en biologie cellulaire ou moléculaire ainsi que des utilisateurs d’animaux à des fins scientifiques.
La production reste encore très dépendante des animauxEn effet, les anticorps, qu'ils soient d’origine animale ou non, ont une très grande variété d’applications et d’utilisations. Or, comme le rappelle l'avis du CNREEA, "si les anticorps à visée thérapeutique et la plupart des anticorps utilisés en diagnostic sont produits par des méthodes non animales (mais souvent initialement développées chez l’animal), il existe actuellement des exceptions, et il peut y avoir des situations particulières ou d’urgence nécessitant une production chez l’animal". Ainsi, certains médicaments utilisés sous AMM (autorisation de mise sur le marché) ou ATU (autorisation temporaire d’utilisation) ont pour principe actif des anticorps polyclonaux nécessairement produits par immunisation d’animaux (lapins, chevaux, moutons…), en absence d’alternative satisfaisante. Il s'agit des sérums antivenimeux ou anti-toxines bactériennes (souvent utilisés sous ATU), et des anti-thymocytes utilisés principalement comme thérapeutique antirejet de greffe (Thymoglobuline® en France, Atgam® , Grafalon® ) sous AMM, mais aussi de produits diagnostics pour des maladies infectieuses humaines ou animales. De plus, des anticorps d’origine animale, pour beaucoup d'entre eux disponibles sur catalogue et fabriqués hors UE en majorité, sont également largement utilisés en recherche en routine dans les techniques ELISA, Western-blot, immunoprécipitation, cytométrie de flux, etc. Ces derniers, quand ils sont monoclonaux, sont principalement produits par immunisation des animaux par injection intrapéritonéale d’hybridome après conditionnement (méthode par production d’ascite). Un autre marché dans le domaine des anticorps animaux est celui des anticorps secondaires dirigés contre les anticorps d'une espèce donnée, utilisés en recherche et en diagnostic, dont l’anatomie pathologique (immunomarquages par exemple). Il peut s’agir par exemple d’avoir un antisérum polyclonal contre un nouveau virus ou de développer des anticorps monoclonaux contre les différents épitopes d’une protéine purifiée.
Des techniques alternatives existentToutefois, comme l'avaient déjà indiqué en 2017 les experts du CNREEA, certaines alternatives aux anticorps produits chez les animaux existent déjà. Pour les anticorps monoclonaux, des anticorps synthétiques peuvent être fabriqués par la technique de phage display notamment. Ces molécules diffèrent cependant des anticorps produits naturellement par un organisme vivant sur leur classe (IgG, IgM, IgA) et leur maturation (modifications post-traductionnelles) et il est nécessaire de réaliser un travail secondaire in vitro pour améliorer leur spécificité et leur sélectivité. De plus, selon les experts, "il peut être plus difficile d’obtenir des anticorps synthétiques contre des protéines dénaturées au contraire des protéines natives". Pour les anticorps polyclonaux, actuellement, ils sont tous d’origine animale, même s’il est possible en théorie, de créer des préparations « polyclonales » par mélange d’anticorps monoclonaux, eux-mêmes d’origine synthétique, mais ces mélanges (parfois appelés « multiclonaux ») ne reprennent jamais la totalité des performances des anticorps polyclonaux.
Poursuivre le "Raffinement"Même si les experts du Comité recommandent que l’approche in vitro sans recours aux animaux soit la première option dans les nouveaux projets de recherche, que l'utilisation des animaux pour la fabrication et/ou la production d’anticorps soit "démontrée comme incontournable dans toute demande d’autorisation de projet, avant tout possible avis favorable d’un comité d’éthique puis autorisation", l’enquête effectuée ici ainsi qu’une revue de la littérature montrent donc que le remplacement des anticorps d’origine animale par des anticorps synthétiques a été initié depuis plusieurs années dans différents domaines mais que, dans l’état actuel de la technologie, il reste des situations dans lesquelles soit les anticorps synthétiques restent moins performants, voire inadaptés donc inutilisables (anticorps dirigés contres des protéines dénaturées, anticorps anti-peptides), soit l’évolution vers l’utilisation d’anticorps d’origine non animale en production sera un processus de longue durée et les obstacles techniques subsistent (anticorps à usage thérapeutique ou diagnostic). Selon l'avis, dans le cas où le recours aux animaux serait incontournable, le projet ne devrait pas être autorisé pour une durée supérieure à deux ans, permettant une réévaluation rapide du maintien éventuel de sa pertinence grâce à l’appréciation rétrospective. A cet égard, le CNREEA assurera "un suivi des progrès dans ce domaine et révisera régulièrement cette recommandation pour tenir compte des évolutions en matière d’approches alternatives".