Le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine a acté l'attribution d'un budget de plusieurs millions d’euros au projet d’une 5ième école vétérinaire publique à Limoges. Le point avec Claire Jacquinet, conseillère régionale et vétérinaire avicole.
Le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine a adopté en séance plénière en juin 2022 un plan de soutien à la médecine vétérinaire pour les animaux de rente. D’une durée de 4 ans, ce plan bénéficie d’un budget de plus de 26 millions d’euros. Plusieurs mesures de soutien ont été listées, avec pour chacune une enveloppe budgétaire dédiée. Parmi elles, a été intégré le projet de création d’une 5e école nationale vétérinaire à Limoges.
Explications de Claire Jacquinet, conseillère régionale et vétérinaire avicole.
> La Région a-t-elle la compétence pour décider seule d’un tel projet ? D’où provient cet argent ?
Claire Jacquinet : La Région a la compétence en matière d’immobilier, d’enseignement supérieur et de recherche. C’est en ce titre qu’elle a inscrit le projet de future école vétérinaire dans le CPER (contrat de plan Etat Région *).
Toutes les grandes orientations stratégiques définies dans le CPER sont discutées en amont avec l’Etat. Et nous avions obtenu une signature de principe pour ce plan fin 2021, lequel incluait déjà une ligne dédiée à un projet d’école vétérinaire, sur des fonds du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine (la signature définitive du CPER est attendue prochainement, NDLR).
> 24 millions d’euros seront consacrés à ce projet. C’est plus de 90% du budget total du plan de soutien à la médecine des animaux de rente. C’est beaucoup pour un projet issu uniquement d’une volonté politique locale, sans soutien étatique à ce stade….
Ce projet répond à des enjeux globaux vétérinaires, notamment en terme de formation. Actuellement, plus de la moitié des vétérinaires inscrits à l’Ordre sont formés à l’étranger, alors que la France est le premier pays agricole d’Europe. Cela fait longtemps que les professionnels, et instances vétérinaires, interpellent l’Etat à ce sujet, et plus globalement sur les enjeux d’avenir de santé publique, pour lesquels la profession vétérinaire a toute sa place. Rappelons que près de 3/4 des maladies infectieuses émergentes et nouvelles seraient zoonotiques. Dans ce contexte, une 5e école publique prend tout son sens, et d’autant plus en région Nouvelle-Aquitaine qui est la première région agricole de France. Localement, ce projet s’inscrit aussi dans notre volonté de préparer l’avenir de l’agriculture régionale, et de favoriser le déploiement d'une stratégie "One Health - une seule santé " comme vecteur commun à ces sujets sur la base de l'expertise présente sur le territoire.
Ce projet a été soutenu à la quasi-unanimité des voix du Conseil régional. Sur les 183 élus, seuls les 19 élus du groupe écologiste se sont abstenus de voter. Ce projet dépasse donc les clivages politiques. La volonté démocratique est bien là.
Alain Rousset a dit en séance plénière qu’on mettait un pied dans la porte : l’image est tout à fait juste. On a officiellement acté notre volonté de porter ce projet dans notre territoire. Maintenant, il va falloir prendre le temps de construire quelque chose d’innovant.
> Pourquoi avoir choisi Limoges comme lieu d’implantation d’une école vétérinaire, et pas une métropole comme Bordeaux qui est bien desservie en transports, et qui permettrait d’avoir probablement un pool suffisant d’habitants pour la médecine des petits animaux de compagnie ?
L’idée est de s’appuyer sur l’existant. La plateforme de l’Université de Limoges s’inscrit déjà dans l’approche « Une seule santé », notamment avec son Master « One Health et santé publique », que nous avons d’ailleurs associé à un dispositif d’aide au maillage vétérinaire **. De plus, la ville de Limoges présente un environnement ouvert sur la ruralité. L’ancrage en rural et la démarche One Health, sont les deux piliers que nous défendons, pour une future école vétérinaire. Si nous implantions une école dans une autre grande métropole, comme les 4 écoles existantes, nous aurions encore probablement les mêmes profils d’étudiants, urbains, et nous nous éloignerions des besoins du monde rural.
Nous réfléchissons aussi en terme de maillage et d’équilibre de l’enseignement supérieur, sur le territoire de Nouvelle-Aquitaine, avec l’idée de renforcer des pôles de formation et de compétences.
> Comment ce projet est-il accueilli dans la profession ?
Maintenant qu’il a été officiellement inscrit à l’agenda, il s’agit de construire concrètement le projet de manière collective, avec les différentes parties prenantes. Nous avions déjà initié des contacts courant 2021 et 2022, avec les vétérinaires de terrain, leurs instances professionnelles, les ENV, les chambres d’agricultures…Certains voient le projet avec un grand intérêt, les syndicats et l’Ordre y sont tout à fait favorables. Le bémol qui peut être émis, est que cette école ne devra pas perturber le budget des ENV existantes, et ce point de vigilance est tout à fait compréhensible.
> Quelles seront les prochaines étapes de travail ? Comment seront répartis les 24 millions d’euros ?
Il ne s’agit pas de financer de la masse salariale. Le cadre du CPER sert à contractualiser des investissements publics. Ce budget servira ainsi à financer des études de faisabilité mais aussi du bâti et premiers équipements. Il faut encore bien définir les choses, dont la méthodologie de travail, mais on pourrait imaginer, par exemple, orienter des premiers investissements vers l’Université de Limoges pour parfaire l’accueil d’étudiants dans le Master « One Health » et pour la création d'une année d'approfondissement spécifique à Limoges.
Ce projet est évidemment à appréhender sur du moyen terme, il ne s’agit évidemment pas d’ouvrir une école en quelques mois. Mais d’ici 2026, il faut qu’on soit suffisamment engagé sur ce projet.
> Le conseiller départemental de la Corrèze, Pascal Coste, lors de la séance, a émis quelques réserves sur la faisabilité d’une nouvelle école publique, soulignant le manque manifeste de soutien de l’Etat. Il a indiqué qu’une école, non pas publique, mais privée, pourrait être une solution pour le territoire. Est-ce quelque chose d’envisageable ?
Ce n’est pas à l’ordre du jour. Pour un métier tourné vers la santé publique, nous défendons un modèle public, accessible à tous. De plus, les frais de scolarité du privé ne sont pas anodins, pouvant limiter les profils orientés vers la rurale.
Nous sommes convaincus de la pertinence de ce projet, et il va nous falloir convaincre l’Etat qu’une nouvelle école vétérinaire est essentielle pour répondre aux enjeux sanitaires, alimentaires…. de demain.
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* Les contrats de plan Etat-Région (CPER) servent à la politique publique locale. Ils définissent des grandes orientations stratégiques pour le développement d’un territoire, avec des plans d’investissements publics associés. Ils sont actés entre l’Etat et une Région, permettant donc d’avoir des sources de financement régionaux et étatiques.
** Le principe : un soutien financier de 6000 euros par étudiants vétérinaires, pour au maximum 6 étudiants, qui s’engageraient à suivre pour leur dernière année d’études, un Master « One Health et santé publique » à l’Université de Limoges, suivi d’une installation pour au minimum 5 ans sur le territoire en exercice rural.
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