Lors de son congrès bisannuel, l’association Zoopsy a exploré la question du rôle du corps dans la cognition animale. Entre thérapies psycho-corporelles, interaction entre microbiote intestinal et cerveau et pistes thérapeutiques émergentes, les intervenants ont débattu des mécanismes reliant le corps et l’esprit chez les animaux.
Le dualisme du corps et de l’esprit a de tous temps alimenté les réflexions des philosophes, psychiatres et psychanalystes. Les progrès en neurosciences ont permis d’attester des échanges évidents entre ces deux entités. Mais qui a le pouvoir sur l’autre ? Le corps peut-il penser ? Le cerveau, siège de l’esprit, est-il un corps en soi ? Les questions sont multiples et d’autant plus pertinentes, à l’heure où les thérapies psycho-corporelles prennent leur essor et que les injonctions au bien-être physique et psychique s’accentuent. Pour son congrès bisannuel, l’association de zoopsychiatrie Zoopsy a souhaité replacer cette thématique au cœur du débat vétérinaire. La journée du 12 décembre 2024 a ainsi réuni une cinquantaine de vétérinaires à Paris auprès de Maxime Bellogo, psychologue clinicien, directeur général de l'organisme de formation Métaphore*, d’Anaïs Caux (N03), comportementaliste, Claude Paolino (L87), comportementaliste et nutritionniste, Guillaume Sarcey (L90), comportementaliste, et Juan Hernandez (A99), spécialiste en médecine interne, sur le thème « Comment les animaux réfléchissent avec leurs corps ? ».
Le principe de cognition émergenteSi la cognition a longtemps été pensée comme émergeant du cerveau, négligeant le corps et l’environnement avec lequel il interagit, il n’en est plus rien. Les sensations corporelles sont à la base de notre perception du monde et ce, avant que ne jaillisse la pensée et le sentiment. Cette idée caractérise l’approche émergente de la cognition. Elle est dite également située puisqu’elle ne peut être envisagée indépendamment de l’environnement physique et social dans lequel elle prend naissance. En ce sens, l’action précède la cognition et détermine sa dynamique.
Les thérapies psycho-corporelles se fondent sur le principe d’un corps “mémoire”, réceptacle de l’histoire psychique, traumatique de l’individu. Elles reposent sur l’utilisation de techniques plaçant ce corps et ses sensations au cœur du travail proposé. « Se raccrocher au corps permet de capter la disponibilité du patient et de briser le cercle des pensées négatives, témoigne Maxime Bellogo. Le philosophe Gilles Deleuze disait : « N’interprétez jamais, expérimentez ! » ». Une maxime qui invite à la mise en action avant d’initier une quelconque réflexion.
Qu’en est-il chez les animaux de compagnie ? Réfléchissent-ils, eux aussi, avec leur corps ? Privés du langage verbal, les animaux se trouvent d’autant plus reliés au monde par leur corps et ses modalités sensorielles. Ainsi, selon le principe de cognition émergente, un chien peureux présente d’abord des signes physiques (tachycardie, halètement...) avant que cela n’engendre des conséquences sur la perception de son environnement. L’apprentissage par conditionnement opérant fait par ailleurs de l’action un prérequis à l’intégration d’une nouvelle information.
Thérapie par le toucherMédiateur privilégié des interactions sensori-motrices, le toucher a trouvé sa place dans de nombreuses thérapies comportementales, notamment auprès d’enfants autistes ou atteints de trouble de l’attention avec ou sans hyperréactivité (TDAH). Activation du système parasympathique, libération de sérotonine, diminution du cortisol, les réponses physiologiques bénéfiques d’un contact physique positif sont multiples. À ce titre, le toucher intervient dans de nombreux comportements affiliatifs, ludiques, sexuels, tant chez l’homme que chez l’animal.
Malgré l’absence de données en médecine vétérinaire, la thérapie par le toucher chez les animaux domestiques serait-elle une piste à considérer ? C’est ce que laisse entrevoir Anaïs Caux : « beaucoup d’applications sont envisageables, par exemple apprendre aux propriétaires à toucher leur animal ! Il y a pleins de manières de générer du bien-être via ce sens (massage plus ou moins appuyé, pétrissage, effleurage, tapotage) et de renforcer des comportements positifs en retour », estime-t-elle.
Quand le microbiote intestinal et le cerveau communiquentDepuis l’avènement de techniques de séquençage du génome bactérien, un nouveau monde s’est ouvert aux scientifiques : celui du microbiote. Estimé à près de 2 kg pour un individu de 70 kg, le microbiote intestinal constitue un écosystème complexe dont la composition et la fonctionnalité sont de plus en plus étudiées.
La mise en évidence d’une activité anti-inflammatoire régulée par les bactéries du système digestif sur certaines populations de cellules cérébrales a confirmé l’existence d’un axe intestin-cerveau. Cette découverte a ouvert des pistes de réflexion quant à l’implication du microbiote dans le développement de certains troubles comportementaux.
Si plusieurs travaux ont été publiés en médecine humaine, Jua Hernandez souligne qu’ils restent épars en médecine vétérinaire, hormis quelques modèles expérimentaux significatifs. Le cas de souris transplantées avec le microbiote de congénères dépressives et développant un phénotype similaire à celles-ci, en atteste. Santés digestive et mentale seraient-elles donc intrinsèquement liées ? C’est ce que suggère une étude récente dans laquelle ressort une corrélation entre certains paramètres comportementaux (sociabilité, agressivité, hésitation...) évalués chez 134 chiens de travail et la richesse/pauvreté de leur microbiote intestinal.
Alors que de plus amples travaux semblent nécessaires pour étayer ces données, Juan Hernandez souligne toutefois l’importance de prendre soin du microbiote des animaux domestiques. Sa composition et sa fonctionnalité dépendent de différents facteurs dont l’alimentation est le plus déterminant. Le régime BARF est à ce titre déconseillé car pauvre en fibres, substrat indispensable au bon fonctionnement des bactéries digestives. Certains médicaments augmentent par ailleurs le risque de dysbiose et doivent être utilisés de manière raisonnée (oméprazole, métronidazole, etc.).
Malgré un niveau de preuves faibles en médecine vétérinaire, l'utilisation de prébiotiques, compléments riches en DHA oméga 3, probiotiques, pourraient avoir un effet bénéfique. Principalement composés de lactobactéries et de bifidobactéries, les probiotiques induisent des changements transitoires et dose dépendants de la flore digestive. La transplantation fécale constitue par ailleurs une option thérapeutique d’avenir.
*Formation sur la communication et hypnose médicale et thérapeutique à destination des soignants
Arief Sujatmoko