Tandis que le nombre d’élevages touchés grimpe, un deuxième cas d’infection humaine a été identifié dans le Michigan. En parallèle, de nombreuses communications et travaux de recherche révèlent de nouvelles données sur l’infection et les modes de contamination. La question de la vaccination des travailleurs exposés est sur la table.
Aux Etats-Unis, la situation des troupeaux bovins laitiers vis-à-vis de l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) reste évolutive. Au 24 mai 2024, 67 élevages positifs ont été rapportés, contre 36 à la fin du mois d’avril. Il n’y a toujours que 9 Etats américains touchés. Il n’y a pas de changements majeurs rapportés concernant les manifestations cliniques, qui restent caractérisées par une baisse soudaine de la consommation d’aliments associée à de la fièvre, une diminution de la rumination puis une baisse marquée de la production laitière. Les animaux les plus gravement touchés présentant du lait épaissi comme du colostrum. Il n’y a pas ou peu de mortalité associée, et les vaches se rétablissent spontanément après un isolement. Pour rappel toutefois : avant les bovins, des infections chez des caprins avaient été rapportées, caractérisées par de la mortalité chez des chevreaux.
Des conséquences économiques à ne pas négligerMalgré tout, selon une récente publication de l’Université du Michigan, l’infection peut s’avérer lourde de conséquence d’un point de vue économique. Dans cet article décrivant le cas d’une ferme de 500 vaches laitières du Michigan au 15e jour de l’infection, le coût estimé de la maladie pour ce troupeau aurait été selon l'exploitant de 30 000 à 40 000 dollars, du fait notamment des soins médicaux, de la perte de lait mais aussi d’avortements. De plus, certains vaches n’étaient toujours pas rétablies au bout d’un mois, avec une persistance de la baisse d’activité du rumen. Au total, pour ce cas, 40% des vaches du troupeau auraient été atteintes, dont 10% avec une forme « longue » de la maladie.
A ce sujet, à ce stade, il n’y a pas encore de certitude sur les modalités de transmission entre vaches. Toutefois, selon une étude récente (en préprint), une voie possible pourrait être via la machine à traire. En effet, dans des conditions expérimentales, il apparaît que le virus reste infectieux pendant 1 heures dans le lait non pasteurisé sur l’acier inoxydable et le caoutchouc du matériel de traite. De fait, selon les auteurs, l’équipement de traite « pourrait être à l’origine d’une partie de la propagation de bovins à bovins observée dans les exploitations laitières ».
Un second cas humainCette circulation virale dans les exploitations laitières avait été associée à une infection humaine d'un travailleur exposé au Texas, peu grave, caractérisée uniquement par une conjonctivite. Depuis, un deuxième cas a été rapporté dans le Michigan, caractérisé également uniquement par des signes oculaires, a-t-il été rapporté par les CDC. L’infection a été confirmée via une analyse PCR sur échantillon oculaire ; par contre, aucune positivité n’a été associée aux échantillons nasaux. Comme pour le premier cas, la souche en cause est le H5N1 de clade 2.3.4.4b. Elle est étroitement apparentée aux souches circulants chez les bovins, suggérant une transmission directe de la vache à l’humain. A noter qu’à la différence de la souche humaine du Texas, celle du Michigan présentait une modification supplémentaire au niveau génomique, connue pour être associée à l’adaptation virale aux hôtes mammifères. Selon les CDC, « cette modification a été identifiée comme entraînant une augmentation de la réplication du virus et de la gravité de la maladie chez les souris lors d’études sur les virus de la grippe aviaire ». Malgré tout, les experts estiment toujours que le risque pour la santé humaine reste faible à l’heure actuelle.
Une transmission dans la salle de traite ?Cette contamination directe de la vache à l’humain pourrait avoir eu lieu dans la salle de traite, suggère l’étude en préprint évoquée plus haut. Selon les auteurs, la contamination pourrait se faire par des éclaboussures et aérosols avant que la machine ne soit posée. De plus, le retrait des manchons des trayons peut aussi libérer des aérosols. Cette hypothèse est aussi confortée par le fait que « la traite a souvent lieu à hauteur des yeux » et qu’ « aucune protection oculaire ou respiratoire n’est requise ».
Par ailleurs, le tropisme mammaire est aujourd’hui mieux compris. Comme expliqué par les membres du COVARS analysant la situation aux Etats-Unis dans un nouveau rapport, ils précisent qu’ « un travail récent a montré que le pis des vaches comportait des cellules exprimant à leur surface l’ensemble des récepteurs utilisés par les virus aviaires (alpha 2, 3) et les virus humains (alpha 2, 6). Cette caractéristique inconnue jusqu’à présent explique le niveau d’excrétion élevé des virus H5N1 dans le lait des animaux ».
Des nouvelles données sur le lait non pasteuriséSelon une autre étude de The New England journal of Medicine publiée le 24 mai, ce lait cru contiendrait bien du virus infectieux. En effet, du lait crue a été donnée (par voie orale) à des souris, lesquelles ont montré « des signes de maladie dès le premier jour, notamment un pelage ébouriffé et une léthargie ». Tous les animaux ont survécu jusqu’au jour 4 puis ont été euthanasiés pour les besoins de la recherche. Des niveaux élevés de virus ont été détectés dans les organes respiratoires ; dans les autres organes, les titres étant plus modérés. Du virus a aussi été détecté dans les glandes mammaires (souris pas en lactation). Pour les auteurs, « le lait contaminé présent un risque lorsqu’il est consommé non traité ». Ces conclusions rejoignent celles d’une autre étude de la revue Emerging Infectious disease des CDC qui s’était penchée sur le cas des infections félines et dont les données suggéraient une transmission du virus par le lait cru. Pour rappel, plusieurs cas d’infections de chats d’une ferme du Texas avaient été rapportés, avec des signes (neurologiques surtout) pouvant être graves, et pouvant aller jusqu’à la mort de l’animal.
Fait rassurant de l'étude de The New England journal of Medicine : le traitement thermique du lait permet de réduire significativement les titres de virus, avec le bémol que ces expériences de laboratoire ne reproduisent pas les processus de pasteurisation commerciale. Par contre, la conservation du lait à 4°C pendant 5 semaines n’a été associée qu’à une légère baisse des niveaux de virus, suggérant que le virus pourrait rester infectieux pendant plusieurs semaines dans le lait cru à 4°C.
Aux Etats-Unis, les produits laitiers sont pasteurisés. D’ailleurs, les analyses faites par la FDA jusqu’à présent dans près de 300 d’échantillon de lait commercial pasteurisé ne sont jamais ressorties positives pour le virus (RT-PCR).
Par contre, en France, nous sommes friands de produits au lait cru, a-t-il été souligné dans le rapport du Covars. A ce jour, aucune infection n’a été détectée dans des troupeaux laitiers de France. De plus, les virus circulants aux Etats-Unis, et responsables des infections des bovins, le génogroupe B3.13 du lignage H5N1 clade 2.3.4.4b, sont différents de ceux de France jusqu’à présent, que ce soit dans le compartiment domestique ou sauvage. A voir toutefois si la rencontre d’oiseaux migrateurs ne pourraient pas introduire ce génogroupe en Europe ou dans les Caraïbes dans les mois qui viennent. Pour les membres du Covars, « un suivi des études en cours sur le risque de contamination humaine lié à la consommation de produits dérivés du lait ou de viande bovine actuellement conduites par les autorités des USA devra être réalisé par l’ANSES ». D’autres recommandations sont faites, dont la surveillance active des élevages bovins et caprins à proximité des élevages d’oiseaux contaminés.
Vers une vaccination des personnes exposées ?Dans ce contexte, les autorités sanitaires américaines, canadiennes et européennes réfléchiraient à vacciner les travailleurs de l’industrie avicole et laitière, a-t-on appris de Reuters. En Europe, l'Autorité de préparation et de réaction aux urgences sanitaires de la Commission européenne travaillerait sur un achat conjoint du vaccin de CSL Seqirus « pour prévenir potentiellement une pandémie déclenchée par des individus exposés à des oiseaux et des animaux infecté ». Reuters écrit aussi qu’ « une porte-parole de CSL, qui a conclu des contrats pour des vaccins contre la grippe pandémique avec 30 gouvernements, a déclaré que l'entreprise était en pourparlers avec plusieurs gouvernements au sujet de l'achat de vaccins depuis 2022. Ces demandes se sont accélérées avec la situation américaine ». D’autres fabricants pourraient aussi être appelés à passer à la production de vaccins contre la grippe pandémique.
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